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Le Calcutta de Mère Teresa

Lundi matin, tout va bien, après quelques jours malade, je vais mieux. Il fait un grand soleil et je déguste un thé fumant et des toasts au miel en regardant les montagnes. Je pars demain matin faire une randonnée de 5 jours pour voir de plus près la chaîne de l’Himalaya, traverser un court instant la frontière Népalaise et profiter de la nature et ses merveilles, enfin. Voici le récit de mes premiers jours en Inde.

Darjeeling, 28 Octobre 2012.

Me voilà passée de Calcutta la grande ville bruyante où il faisait 30°C, pleine de misère, sale et polluée à Darjeeling la ville de montagne à 2136 mètres d’altitude au Nord Est de l’Inde où il fait 10°C, où l’ambiance est plus paisible et l’air respirable, même si le monde et le chaos restent présents. J’ai travaillé tous les jours dans les maisons tenues par les Soeurs Missionnaires de Mère Teresa. Ce fut une semaine éprouvante mais il s’y ait passé de belles choses. C’est dur de décrire ce que j’ai vu et fait, surtout par mail mais je vais faire de mon mieux pour partager ces moments vécus à Calcutta. Le but de mon récit n’étant ni de faire du voyeurisme ni de me faire passer pour une fille formidable, juste mettre à plat et partager mes sentiments sur l’expérience enrichissante et troublante que cela fût. Pour mes amis et famille qui me charrient souvent en me disant « arrête de faire ta Mère Teresa », vous serez servis j’espère 🙂 Ce qui est sûre c’est que cela m’a vraiment marqué et touché.

En programmant cette étape à Calcutta, je pensais faire entre 1 et 5 jours de volontariat selon ce que je pouvais supporter, on m’avait prévenu que c’était dur et me conseillait d’y aller accompagné d’un(e) ami(e). N’ayant pas ça sous la main j’y vais seule et supportant bien le 1er jour, j’ai finalement travaillé 7 jours et aurais vraiment aimé rester plus longtemps. À peine arrivée à Calcutta, j’ai cherché un hôtel et trouvé au bout du 2eme visité. J’ai posé mon gros sac et suis repartie à la Maison mère de Mère Teresa pour m’inscrire en tant que bénévole. J’ai pu me recueillir sur sa tombe et la petite chambre simple où elle vécut de 1950 à son décès le 5 Septembre 1997. Des soeurs m’ont dit que je pouvais venir le lendemain pour la réunion d’inscription et commencer à travailler dès le matin. J’allais donc à 6h à la messe dans la maison mère avec les Sœurs et des bénévoles. Ensuite, on va dans une salle où l’on peut manger un petit déjeuner à base de tranches de pain de mie, bananes et « chai » (thé Indien à l’épice de cardamone). À 7h30 on chante un « Je vous Salut Marie » puis deux prières courtes pour commencer la journée. Ensuite, on est dispatché dans les différentes maisons de la ville. On m’affecte le 1er jour à Shanti Dan où sont les femmes et adolescentes handicapées mentales et/ou motrices. Je suis un groupe de bénévoles à pied puis en bus puis à pied et nous arrivons sur place. La première tâche de la journée consiste comme dans la plupart des maisons de laver le linge à la main pendant une bonne heure. Ensuite, on va s’occuper des filles, on leur fait écrire leur nom si elles peuvent à l’aide de cubes, on fait des additions et des soustractions, on colorie. Après on a une petite pause thé puis de retour on s’occupe encore d’elles et on les fait manger puis on les met au lit et les fait aller aux toilettes si besoin.

L’après midi, lors de mon inscription officielle pour plus d’une journée, je demande à être affectée dans une maison pour m’occuper des personnes âgées malades ou mourantes. Il y en a deux, la première est Prem Dan pour les personnes âgées et/ou malades, j’irai les matins, la deuxième est Kaligat, surnommée « le mouroir ». Je vous laisse imaginer ce qu’on y fait, j’irai les après-midis.

Le lendemain jeudi c’est le jour de repos des bénévoles et nous partons en groupe visiter à 1h30 de bus la maison des Lépreux ouverte par Mère Teresa en 1958. Deux cent Lépreux y vivent dont une grande partie y confectionnent tous les fameux saris (habits) blancs et bleus portés par toutes les Sœurs Missionnaires du monde. Quatre cent autres viennent pour profiter des soins qui leur sont donnés gratuitement. Nous visitons les ateliers de tissage où ces hommes et femmes travaillent dur malgré leurs membres atrophiés. Ils ont retrouvé ici leur dignité, ils font de superbes saris, nappes et draps pour les différentes maisons de la communauté, ils sont fiers et aimés ici, ça se voit et ça se sent.

Vendredi matin est mon premier jour dans la maison de Prem Dan, je décide de suivre le groupe qui y va à pied, 30 minutes de marche à travers les rues escarpées de Calcutta et les bidonvilles proche de Prem Dan. Les ordures jonchent le sol, les vaches, poules, chiens, chats, chèvres cohabitent avec les habitants, on se lave, on dort, on mange, on fait ses besoins, on travaille, on joue dans la rue au milieu de ce bordel phénoménal d’où se dégage des odeurs nauséabondes. C’est un véritable slalom olympique jusqu’à notre destination. Après avoir enfilée mon tablier, lavée le linge, je me dirige vers la grande cour où sont réunies les femmes de la maison, elles sont une cinquantaine assises par terre pour la plupart ou sur les murets qui entourent la cour, elles ont toutes le crâne rasé, cela fait une drôle d’impression. Une vingtaine d’autres sont dans la maison, alitées ou sur un fauteuil roulant. Il y a des arbres et des balançoires, le soleil est présent. Je m’approche d’une d’entre elle pour lui tenir compagnie, je lui sourire et lui parle, je lui masse mains, bras, épaules et tête. On m’a dit qu’elles appréciaient ce genre d’attention, elle semble apprécier effectivement, elle ferme les yeux et se détend. Je passe environ 15 minutes avec chacune, parfois je leur coupe les ongles, je les écoute me parler même si je ne comprend pas, j’essai de communiquer à l’aide de gestes et mimiques, je chante. L’heure du thé arrive. On leur sert thé et gâteaux, puis on repasse du temps avec elles jusqu’à la pause thé des bénévoles. Ensuite on leur sert leur déjeuner, toujours à base de riz, qu’elles mangent à la main comme de nombreux Indiens, certaines ont besoin d’être nourries à la cuillère. Ensuite on les emmène au lit. Le visage qui m’a le plus marqué est celui d’une femme d’une trentaine d’années, elle est plus jeune que les autres, elle a été gravement brûlée à tel point que son visage ressemble à celui d’une créature d’épouvante d’un film d’horreur. La première fois que je la vois, je suis en train de nourrir une autre patiente handicapé motrice et mentale sur une chaise roulante, elle est à 1 mètre de moi et de voir son visage qui n’a plus d’yeux et presque plus d’oreilles me brise le coeur et me fait un choc. Tout son visage, mains, bras et épaules ont été rongé par le feu. Je sens monter une larme dans mon oeil, je respire un grand coup sans qu’elle m’entende pour ne pas en faire monter d’autres. Deux jours plus tard, je vais la voir, je m’en occupe, je lui prend les mains et je lui parle, je l’aide à accéder à son lit qui est bizarrement placé au fond du dortoir. Elle ne peut pas marcher donc elle avance à l’aide d’un bras pour pousser son corps assis sur le sol et l’autre main dans la mienne pour la guider car elle ne voit rien. Nous échangeons quelques mots, elle connait certains mots Anglais ce qui lui permet de me dire ce qu’elle veut et je m’exécute énergiquement mais avec tendresse. Un autre visage qui m’a marqué est celui d’une vieille dame de 90 ans je pense. Elle a les yeux brillants et la peau fripée, les gestes sont tendres, ses mains sont difformes. Elle me tend les mains le deuxième jour pour que je vienne la voir et m’occupe d’elle, idem les jours suivants. Elle est si mignonne, elle me touche beaucoup.

On repart vers 12h30 en rickshaw (tuk tuk à 3 roues Indien) puis après avoir déjeuner un « egg roll » dans un restaurant de rue, je prend le métro pour Kaligat pour mon service de l’après midi. Kaligat est la 1ère maison fondée par Mère Térésa qu’elle appelle « Nirmal Hriday »= Maison au cœur pur – Foyer pour mourants abandonnés. Je montre mon pass de bénévole m’autorisant à entrer. Là je vois deux grandes salles principales remplies de lits de camps alignés à quelques centimètres l’un de l’autre, des sondes, des religieuses s’activant ça et là. Ça ressemble a un hôpital de guerre. La première salle est pour les hommes où travaillent les bénévoles masculins, je me dirige vers la deuxième salle pour les femmes. On lave le linge dans la laverie, on l’étend sur le toit terrasse avec vue sur le Temple Hindou Kali puis je vais voir les femmes alitées. Le rituel est le même, on leur parle, on les écoute, on leur prend les mains, on les masse, on les sert, les nourrit, les accompagne où elles doivent aller si elles le peuvent sinon on nettoie les accidents… Après on fait la vaisselle et on s’en va la tête plein d’images qui ne risquent pas de s’en aller mais le coeur rempli de belles choses.

Lundi après-midi je suis allée dans un bidonville avec une Italienne qui vient à Calcutta depuis plusieurs années et connais des gens qui y vivent et à qui elle rend visite régulièrement. Ils habitent dans des cabanes faites de tôles en métal, de bâches en plastique, et de morceaux de bois, tout ça à 1 mètre des rails du train. On arrive devant l’une des maisons de fortune qui est celle où Jay notre contact habite, il a 15 ans et vit là avec sa famille. Il a un portable mais pas de crédit pour s’en servir, une chemise propre et repassée, sa soeur met pour sortir un superbe sari vert et or et ses bijoux dorés. Nous allons tous voir les temples temporaires de la fête Hindou qui se déroule en ce moment. En attendant qu’elle se change et se maquille chez elle, on nous installe fièrement au sol sur le tapis en plastique devant la cabane où est allumé une télé et où ils passent la plupart de leur temps à 50 cm des rails du train. Cinq minutes plus tard, on entend un train qui arrive, on nous dit de nous décaler un peu. Le train passe à même pas un mètre de nos têtes, nous sommes assis par terre à côté du train qui défile et arrêtons un instant notre conversation. Après on se redécalle vers les rails et on reprend comme si rien ne s’était passé. Une scène totalement irréelle.

J’ai eu la chance d’être à Calcutta juste au moment de la fête Hindou la plus colorée et célébrée de l’année particulièrement ici. Il s’agit de Durga Purja, 5 jours de fête incroyable pendant lesquels les habitants rendent hommage à la déesse à 10 bras Durga. Des statues de Durga et son entourage sont peintes de couleurs vives et exposées dans des « pandal » (sanctuaires temporaires) construit pour l’occasion et éparpillés dans toute la ville. J’en ai profité en me promenant le soir avec un photographe Grec et les bénévoles Espagnols au moment où les festivités battent leur plein et les Indiens s’habillent de leurs plus beaux habits et sortent en famille. Ils viennent de Calcutta ou d’autres coins du Bengal, on prie, on mange, on boit, on danse.

Mardi je fais ma dernière journée complète puis direction Darjeeling en 12 heures de train de nuit, classe « sleeper » en mode local avec 6 couchettes sans draps et pas de cabine, c’est comme un grand dortoir ouvert en fait. Malgré le bruit des rails et la lumière, je suis tellement fatiguée que j’arrive à dormir 7 heures. Je pars avec des sentiments mélangés de tristesse et de joie, de contentement de ce qui s’y fait et d’y avoir participé un temps et aussi de frustration de ne pas en faire plus, plus longtemps. Arrivée à New Jalpaiguri, il faut prendre un van puis 3h30 de jeep pour monter jusqu’à Darjeeling où il fait froid! On range les tongs et on sort sa polaire et son bonnet, ici c’est la montagne! Les traits des visages changent, la langue et le paysage aussi. Nous sommes tout près de l’Himalaya, le Népal et le Tibet. Les gens d’ici parlent le Népalais plutôt qu’Hindi, on peut manger le « dal bat » Népalais et les momos Tibétains que j’ai découvert il y a un an à peine dans leurs pays d’origine.

Ma première journée à Darjeeling est étrange, je me sens un peu perdue, inutile et coupable d’être venue y faire du tourisme après cette semaine de bénévolat auprès des plus démunis. Je me demande ce que je fais là, la raison initiale était de faire une randonnée en montagne dont les images m’avaient fait rêvé depuis Paris il y a 3 mois mais tout cela me semble bien futile maintenant. Je me demande si je ne vais pas rebrousser chemin et repartir à Calcutta, ce qui est un peu une folie vu le trajet que je viens de me faire. Je me ballade, visite le temple hindou au sommet, la fameuse plantation de thé, je lis, j’écris, je prend le temps. Le lendemain matin, je descend de ma chambre et tombe nez à nez avec un bénévole rencontré 8 jours plus tôt lors de la visite de la maison des Lépreux. On se parle et il m’apprend qu’il y a une maison des Missionnaires de Mère Teresa ici même à 5 minutes de l’hôtel! La Providence a fait son travail! Me voilà donc partie les rencontrer et j’ai passé hier et ce matin avec elles et les habitantes de la maison, des femmes entre 16 et 90 ans, orphelines, abandonnées, handicapées, malades. C’est une petite maison avec seulement 6 religieuses et 40 « malades », le rythme est tranquille et on est loin des grosses maisons de Calcutta. Elles sont assez autonomes donc pas un énorme besoin de volontaires. J’en profite en plus de passer du temps avec les dames de la maison, pour partager les moments de prière qui rythme le quotidien des religieuses. Ce matin dimanche, j’ai assisté à la messe au couvent de Loreto où Mère Teresa a commencé sa vie de religieuse et d’où elle est partie pour fonder l’ordre des Missionnaires de la Charité.

Tout cela m’a ouvert les yeux sur la vie ici et ailleurs, le peu d’importance qu’on lui donne trop souvent dans nos pays Occidentaux et la force avec laquelle on la supporte et on se bat ici où tant de choses sont dures, la mort, la foi et l’action incroyable des religieuses, des volontaires et engagés qui donnent une partie d’eux mêmes pour aider les plus démunis, qu’ils soient croyants ou pas. Tout ce petit monde s’unit pour aider, ensemble. Ces 10 derniers jours m’ont remué mais ça remet les idées en place et ça, ça fait du bien. Je pense et prie pour vous.

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